L'amitié est rare, très rare, d'où son aspect précieux et marquant. On
arrive à la fin de la vie et on essaie de compter ceux qu'on considère comme de
vrais amis, ceux dont la fidélité a été sans failles, ceux qui vous ont aimé
tel que vous êtes, sans vous juger ni essayer de vous changer. C'est dans les
épreuves, les moments difficiles et parfois décisifs, que l'amitié se révèle et
se consolide ou s'absente et tombe dans le commun de l'oubli. L'amitié est ce
qui permet de désarmer la cruauté et d'affronter le mal. Elle peut avoir
existé, avoir été sincère et forte, et puis se briser d'un seul coup,
s'anéantir parce qu'elle aura manqué à l'un de ses principes fondamentaux, la
fidélité, c'est-à-dire la constance dans la confiance, cette présence qui ne doit
jamais faire défaut.
La trahison, c'est le fait de « manquer à la foi donnée à
quelqu'un », c'est une forme d'abandon doublé parfois d'une volonté de nuisance
ou d'une participation active ou passive à une opération de malfaisance. On
agit contre quelqu'un à qui l'on devait fidélité. Souvent on agit par intérêt,
par jalousie ou par vengeance et mesquinerie. Toutes ces notions non seulement
sont étrangères à l'amitié, mais sont sa négation absolue. L'évêque anglican
Jeremy Taylor (1613-1667) utilise l'expression « adultère d'amitié » pour
parler de trahison : « La trahison et la violation d'un secret constituent les
adultères d'amitié et dissolvent l'union entre les amis. » Dans ce sens,
l'amitié est considérée comme un « mariage entre les âmes ». Quand on convoque
le malheur et la convoitise, on révèle sa propre défaite, son incapacité
d'avoir de l'amitié.
Or
l'amitié est un état de grâce apaisé et apaisant. Il faut du temps pour
atteindre cet état où le plaisir vient de la gratuité et de l'absence de quelque
intérêt que ce soit. C'est en ce sens que la force d'une amitié peut
s'effondrer parce qu'un élément impur s'est introduit dans la relation. Dans la
relation amoureuse et sexuelle, la trahison, l'usure, le conflit et la guerre
sont de l'ordre du possible. Ils font partie du jeu, sont admis même si l'on
n'en parle pas. Quand un amour est trahi et brisé, on a du chagrin et on sombre
dans une mélancolie profonde. On souffre du fait qu'on est face à une
impossibilité, celle d'inverser le cours des choses. On a le sentiment qu'on ne
se relèvera pas de cet échec. Pourtant, le temps fait son travail. Parce que
l'amitié est à l'écart de toute satiété et de tout calcul, ces dérapages ne
devraient pas arriver et en outre ils ne sont pas prévus. Le fondement même de
l'amitié est l'absence de conflit pervers et d'intérêt dissimulé. Quand une
amitié est trahie, la blessure est insupportable justement parce qu'elle ne
fait pas partie de la conception et la nature de la relation, laquelle est une
vertu, pas un arrangement social ou psychologique. Elle est vécue comme une
injustice. Elle est incurable. On ne comprend pas et on s'en veut d'avoir donné
le bien le plus précieux à quelqu'un qui ne le méritait pas ou qui n'a pas
compris le sens ni la gravité de ce don. On s'est trompé et on a trompé. La
rupture s'impose parce que l'amitié ne souffre pas de concessions avec le faux,
la tiédeur et la perversité.
En
amour, on peut solliciter et insister, la consolation existe. Tôt ou tard,
l'oubli s'installe et l'émotion retrouve sa jeunesse et ses forces. En amitié,
la consolation est illusoire, le deuil un précipice. Un ami, un vrai ne se
remplace pas. On vit avec la blessure infinie, on s'entête à vouloir oublier,
mais on sait que c'est un exercice vain. Pourquoi ce genre de blessure
persiste-t-il dans la mémoire ? C'est le principe de la parole donnée qui n'a
pas été respecté. La confiance abusée, cambriolée par la personne à qui on a
laissé les clés, c'est l'effarement de découvrir qu'on a longtemps fait fausse
route, qu'on a cru les mots dont on n'avait que l'enveloppe, ouvert sa maison
intérieure, lieu intime du secret, et voilà que tout cela vole en éclats. La
trahison est une forme silencieuse de meurtre. On tue le don et la grâce, puis
on se masque. On prend place dans le coeur et l'amour de l'autre, on connaît
ses repères et ses faiblesses, puis on en profite pour démolir la maison et
fouler aux pieds la confiance.
Comment
ne plus souffrir de ces blessures ? Comment choisir ses amis ? Quelle illusion
! Comment savoir, comment prévoir les métamorphoses de l'âme, ses errances, ses
revirements ou sa fidélité et son intégrité ? Il n'y a pas de recette.
D'après Tahar Ben Jelloun, "Des blessures
inconsolables", in Nouvel Observateur, décembre 2000
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